Musique et société
Partout où il y a de l'humain, il y a de la musique.
Francis Wolff (philosophe français)
Musique comme moteur social
Les inégalités sociales sont des plaies mondiales, mais certaines d'entre elles peuvent être pansées, ou du moins atténuées, grâce à la musique. En effet, dans de nombreux pays, des actions musicales sont menées pour lutter contre la misère sociale et tenter d'offrir un meilleur avenir à des enfants défavorisés.
Simon Bolivar Orchestra
Créé en 1975 par J. A. Abreu, musicien et homme politique vénézuélien, décide d'instaurer un programme d'éducation musicale, El Sistema [6], qui permettrait au Venezuela d'avoir un grand orchestre national. Ce projet a très vite connu un immense succès, et l'orchestre, nommé Simon Bolivar en hommage à l'Homme d'état emblématique de l'émancipations des colonies espagnoles, mène une action sociale et éducative visant à initier les enfants les plus démunis à la pratique de la musique classique. Dès leur plus tendre âge, les enfants choisissent un instrument, et l'un de leur aînés devient son tuteur et lui en enseigne la pratique. Beaucoup de musiciens initiés dans cet orchestre ont par la suite profité d'aides financières pour étudier la musique dans des conservatoires de renommée mondiale. Aujourd'hui, l'orchestre est sous la direction de Gustavo DUDAMEL, violoniste, compositeur et chef d'orchestre vénézuélien de renommée mondiale.

L'orchestre se produit aujourd'hui dans les plus grandes salles de concert. Les critiques et le public du monde entier saluent le succès de cette lutte sociale contre la misère infantile.
D'autres projets visent à développer la musique dans les milieux défavorisés, c'est notamment le cas de la Banda de Musica [7] : un groupe de 21 enfants mexicains âgés de 8 à 16 ans ont décidé de créer une fanfare dans un quartier construit au pied du dépôt d'ordure de la ville Oaxaca.
Vers une musique plus égalitaire...
Même dans les pays développés, tous les enfants ne peuvent pas accéder à la musique.
Every child should have the opportunity to learn to read music and play an instrument, not just the kids of thrusting middle-class parents.
Stephen Moss (naturaliste et écrivain dans The Guardian)
En France, par exemple, bien que de nombreuse actions soient menées dans le cadre de la « culture pour tous » (initié par André Malraux) pour dynamiser les milieux ruraux et décentraliser les activités culturelles et artistiques, certaines zones restent pauvres en offres de spectacles musicaux et de concerts. C'est le cas notamment des zones rurales très isolées ou des quartiers de banlieue défavorisée. De ce fait, d'après la JM France (Jeunesse Musicale en France, [8]), « seulement 35 % des enfants de onze ans ont accès au spectacle, grâce aux sorties scolaires et que, ce n'est au mieux qu'un tiers des enfants d'âge scolaire qui a accès à une pratique musicale en France. »
Cela leur clot dès le plus jeune âge les portes de la pratique musicale : ces enfants ne considèrent la musique que comme un loisir, sans relation particulière avec l'art ou la pratique musicale. D'après les statistiques publiées sur leur site officiel, JM France poursuit sa lutte pour améliorer l'accès à la musique dans ces milieux défavorisés : chaque année, plus de 500 000 jeunes découvrent la musique avec eux, et ont l'occasion de se divertir ou de se produire lors de nombreux concerts et festivals organisées toute l'année.

Crée en 1939, cette association s'inscrit dans le gigantesque réseau international des JM (Jeunesses Musicales). Ces associations se contentaient à leurs débuts d'organiser des concerts-conférences destinées à des lycéens ou des étudiants. Devant le succès de cette entreprise, les associations se développent, organisent de plus en plus de concerts sur des temps scolaires, des rencontres avec les artistes, des festivals destinés à promouvoir la création musicale chez les jeunes... Aujourd'hui, JM France, c'est plus de 2000 événements musicaux par an, organisés en partenariat avec les écoles sur les temps scolaires afin qu'ils soient accessibles aux étudiants, 400 salles, près d'une centaine de partenariats...
Avoir accès à la musique, c'est pouvoir la choisir. En faire l'expérience, c'est pouvoir se construire.
JM France
Musique comme vecteur identitaire
La musique prend aussi part à notre éducation en tant qu'être social et membre d'une société. En effet, la société est structurée en groupes et l'identité de certains groupes est souvent liée à l'adhésion à un certain style musical bien particulier.
Appartenance à un groupe musical
Selon
la théorie pythagoricienne, explicitée notamment dans « La
musique comme reflet de l'harmonie du monde », par B. Van
Wymeersch, la musique est le reflet de la société dans laquelle
elle existe. Mais tous les styles de musique sont différents. Ils
reflètent donc des groupes sociaux différents. Certains individus
revendiquent leur appartenance à un groupe social bien précis en
s'affichant comme membre d'une communauté musicale aux standards et
au style clairement définis. Cette revendication peut passer par un
style vestimentaire, capillaire, une manière d'être particulière,
une opinion philosophique spécifique. Se conformer à ses standards
et adopter ces marqueurs identitaires permet de clamer son
appartenance à un groupe musical bien précis, et donc à une
catégorie sociale déterminée.
Quelques exemples de groupes socio-musicaux
Apparu sur la fin des années 60, le reggae est à l'origine un style musical lié au mouvement jamaïcain rastafari, qui se caractérise par le refus non seulement de l'esclavage négrier, mais encore de toute forme d'esclavage mental, sociétal ou judiciaire. Encore marquée par des années d'esclavage (aboli en 1834 en Jamaïque), la Jamaïque est en quête de son identité. Le reggae est inspiré de styles de musique très divers : de la polka, la mazurka et autres danses coloniales, jusqu'au jazz, au blues ou à la soul music (musique américaine). Aujourd'hui, et grâce à son principal représentant Bob Marley, le reggae est une musique universelle.
Les marqueurs identitaires associés au reggae sont généralement le « Red Gold and Green », qui sont non seulement les couleurs de l'Éthiopie impériale, mais qui représenteraient le sang des martyrs, la richesse de la terre d'Afrique, et la végétation de l'Éthiopie. L'autre principal marqueur identitaire est le cannabis, herbe sacrée qui permettrait à l'âme de s'élever dans la méditation.
Le punk
Vers la fin des années 70, la bourgeoisie de Grande-Bretagne traitait les jeunes qui faisaient de la musique dans la rue de « punks », littéralement « vauriens ». Le mouvement punk se démarque en grande partie par sa volonté de retourner au rock primitif, rejetant notamment la prétention du rock progressif et du heavy metal. L'idéologie associée au mouvement est marquée par un anticonformisme et un anti-autoritarisme prononcés. Elle est souvent associée au mouvement anarchique, et prône tout comme les anarchistes une société basée sur la liberté individuelle et le respect mutuel. Les groupes les plus emblématiques demeurent : The Clash, Sex Pistols, Dead Kennedy, Black Flag, Blondie, Ramones...
Cette idéologie s'est tout d'abord traduite par une attitude violente, provocatrice et contestataire. Mais le principal marqueur identitaire est le code vestimentaire, qui se devait d'évoquer la violence, la destruction et le nihilisme. Les symboles les plus évocateurs sont l'utilisation d’épingles à nourrice en guise de piercings, des coupes de cheveux extrêmes comme la coupe iroquoise, des croix gammées taguées sur les vêtements...
Les hippies et la musique psychédélique
Dans les années 60, une partie de la jeunesse américaine initie un mouvement de contestation contre l'ordre établi : L'American way of life, la guerre du Vietnam, la société de consommation et le conformisme sont rejetés. Les hippies adoptaient un mode de vie basé sur la liberté, le pacifisme, la musique, une sexualité sans tabous et une élévation psychédélique. Timothy Leary, célèbre neuropsychologue et écrivain américain, conférencier à Harvard de 59 à 63, recommandait la consommation de LSD pour rechercher de nouvelles sensations et bénéficier d'une expansion de la conscience. Convaincus des bénéfices thérapeutiques et spirituels du LSD, Leary et son collègue Richard Alpert s'associent et, rejoints par de plus en plus de partisans, militent pour l'utilisation thérapeutique du LSD. Selon lui, et d'après des recherches menées avec ses étudiants, le LSD bien dosé permet beaucoup d'améliorations, notamment dans le traitement des alcooliques et la réinsertion sociale des criminels. Leary est incarcéré en 63 pour détenir et donner à des étudiants de la drogue. Il était considéré comme l'homme le plus dangereux des US, mais le mouvement qu'il a initié a survécu à son arrestation et s'est répandu à travers le monde.
La musique hippie tire ses inspirations du jazz, du blues, du flamenco ou du rock. C'est une période d'expérimentation musicale qui voit naître de nouveaux styles (hard rock, rock psychédélique, free jazz, ...).
Les marqueurs identitaires associés au mouvement hippie sont les cheveux longs (pour dénoncer les crânes rasés des soldats du Vietnâm), des vêtements colorés et fait-main, et les pantalons en jean. On ne peut parler des Hippies sans évoquer le Peace and Love et le Flower Power, qui représentent la paix et l'amour, valeurs chères aux Hippies.
Début de la comédie musicale Hair, adaptation cinématographique de la comédie musicale originale de 1967
Musique dans la société actuelle
Banalisation musicale
La musique occupe dans la société actuelle une place ambiguë. En effet, alors même qu'elle accompagne la plupart de nos activités, elle devient une activité de plus en plus secondaire. En effet, la majorité des gens ont depuis quelques années pris l'habitude d'écouter de la musique durant leurs activités du quotidien : lors d'un jogging ou d'une séance de sport, d'un trajet en voiture ou dans les transports en commun, lors des repas, lors d'un travail écrit, ... Mais contrairement à la lecture d'un livre, au dessin ou à toute autre activité de détente, écouter de la musique ne requiert pas toute notre attention. La musique devient donc une activité d'arrière-plan, la plus grande part de notre esprit étant concentrée sur une autre activité. On peut désigner ce phénomène par le terme banalisation musicale.

Même si on a vu en première partie que l'écoute de la musique lors d'autres activités permet l'amélioration des performances cérébrales et de la concentration, la musique devrait également occuper une place d'activité à plein temps : se concentrer sur l'écoute de la musique apporte énormément sur la connaissance de la musique et de soi (comme ce sera développé en troisième partie)
Interprétation du phénomène
La plupart du temps, la musique n'est pas considérée comme un art. Elle permet tout au plus de constituer un arrière plan sonore pour d'autres activités plus importantes. A la radio, les musiques se succèdent, on ne les écoute pas vraiment, à part leur tout début afin de déterminer si la musique actuelle nous plaît. Mais toute pièce musicale est une œuvre d'art, elle a demandé à ses auteurs et interprètes de nombreuses heures de travail, un talent et une motivation qui ne sont pas à la portée de n'importe qui. La valeur et la richesse musicale d'un morceau de musique, à l'inverse de son appréciation, n'est pas une affaire de goût. En effet, nul besoin d'apprécier une oeuvre musicale pour en admettre la valeur purement artistique.
Dans la société de consommation actuelle, la musique est vulgarisée. Les temps modernes sont marqués par une prolifération d'œuvres musicales se limitant à une superposition de rythmes simples et basiques, accompagnés de clips à gros budget destinés à rendre la musique plus commerciale, et à occuper l'esprit autrement que par l'écoute de la musique en question. Même s'il faut de la musique pour tous les goûts, et que la plupart des nouvelles formes de musique sont critiquées à leurs débuts, ces chansons éphémères qui ne durent rarement plus d'un été obstruent le paysage musical, de sorte que d'autres formes de musique (classique, jazz, musique atonale, rock, ...) deviennent inconnus des nouvelles générations.