Musique et éducation personnelle
La musique est communément admise comme un moyen de communication et un moyen d'exprimer ses sentiments. Ces termes vagues vulgarisent une théorie bien plus complexe, plus scientifique et plus rigoureuse que nous résumons ici. Tout d'abord, nous expliquerons pourquoi alors que la musique est avant tout une onde sonore, il existe une différence entre le bruit et la musique. Enfin, nous définirons et analyserons les différents types d'émotions musicales.
Du bruit à la musique
La musique, c'est du bruit qui pense.
Victor Hugo
Au contact de son environnement, l'Homme perçoit des bruits, c'est à dire des signaux acoustiques incohérent et contextualisés. Il interprète ces bruits, et en extrait des informations sur ce qui l'entoure. A la différence d'un bruit, un son résulte d'une vibration périodique, et n'apporte généralement pas d'information utile. Alors qu'on entend un bruit, on écoute un son, sans chercher à en tirer une information effective, on s'intéresse au son pour lui-même, sans prendre garde à son contexte d'apparition. La musique peut être définie comme une combinaison artistique de sons.
Et cette combinaison artistique engendre chez un auditeur des sensations. Pour le compositeur François Joseph Fétis, "la musique peut se définir comme l'art d'émouvoir par la combinaison des sons" [9]
Plusieurs scientifiques se sont intéressés à cette production de sensations, et notamment Hermann von Helmholtz (scientifique prussien), qui a travaillé sur la perception de la consonance musicale. Il affirme dans ses travaux que « une sensation musicale apparaît à l'oreille comme un son parfaitement calme, uniforme et invariable ». [10]
La musique est la langue des émotions.
Kant
Par ailleurs, nombre d'expériences quotidiennes prouvent que la musique suscite ou attise des émotions. En effet, pourquoi chante-t-on une comptine à un bébé pour le calmer et l'endormir ? Et lors d'un concert, comment explique l' « unisson émotionnel » d'une grande partie de l'auditoire ? Pourquoi certains neurochirurgiens opèrent-ils en écoutant de la musique ? La musique est de plus l'un des outils cinématographiques indispensables, elle permet d'imposer aux spectateurs une émotion : expectative, peur, tristesse... Mais comment expliquer et analyser ces émotions? Peut-on les prévoir?
Différents types d'émotions musicales
La musique s'impose comme un moyen d'expression et de production d'émotions principalement au cours du XIXe siècle, avec le mouvement romantique. Plus récemment, des recherches menées en éthnomusicologie, notamment par Ruth Finnegan, orientent de plus en plus cette science vers l'étude des émotions en musique. Ces émotions agissent sur nous et sur notre développement personnel. Dans son livre Pourquoi la musique? [11], le philosophe Francis Wolff distingue trois principaux types d'émotions musicales (émotions créées par la musique) : celles qui ne sont qu'en nous (émotion personnelle), celles qui ne sont que dans la musique, et celles que la musique provoque chez nous (émotion esthétique)
L'émotion personnelle
« La musique offre une ressource humaine à travers laquelle les personnes peuvent mettre en scène leurs vies en les liant de manière inextricable avec les sentiments, la pensée et l'imagination ».
Ruth Finnegan (éthnomusicologue)
La raison intervient dans l'écoute de la musique, et les émotions ressenties diffèrent selon les personnes. Elles sont intrinsèquement liées à l'histoire personnelle, à l'éducation, à la culture. Ces émotions sont subjectives. Elles s'expliquent la plupart du temps par un travail associationniste de la mémoire : l'écoute d'une musique coïncidant avec une expérience particulière (affective, sportive, ...) crée une association que notre cerveau retient et rappelle par la suite. Par exemple, les amoureux aiment à ré-écouter inlassablement la musique sur laquelle ils se sont rencontrés : "Tu vois chéri, c'est notre musique! "
Autre exemple, de nombreux dessins animés pour enfants montrent une harmonie entre la musique et les images. Si la plupart du temps, la musique sert à souligner l'émotion que l'action fait ressentir (inquiétude, joie, ...), les personnages évoluent parfois à l'écran en rythme avec une musique qui n'a pas été composée pour un dessin animé. La mise en image de pièces classique guide l'interprétation et accroît l'émotion ressentie à l'écoute de la musique (voir plus de détails sur la page suivante)
L'émotion contenue dans la musique
La musique possède également certaines propriétés que l'on associe naturellement à des émotions. Exemple le plus flagrant : l'utilisation des modes majeur et mineur. Il ne s'agit pas ici d'un cours de théorie musicale, mais on admet communément qu'un morceau qui sonne majeur est gai, tandis qu'un morceau mineur est triste. Pour plus d'informations, voici une vidéo explicative du compositeur et pianiste Jean-François Zygel :
Par ailleurs, de plus en plus de musiciens amateurs commencent à gratter la guitare sans plus de formation, prétendant simplement exprimer leurs émotions et jouer les accords comme ils leur viennent. Mais quelqu'un connaissant un minimum de théorie musicale se rend en fait compte que les accords joués « sur le coup de l'émotion » suivent généralement les règles de base du solfège et de la composition musicale. Cette adéquation entre l'instinct et la théorie musicale montre que la musique elle-même repose - du moins en partie - sur les émotions.
L'émotion esthétique
On désigne par « esthétique » (du grec aísthesis, sensation) les émotions que produit la musique chez un auditeur. Ce type d'émotion est lié aux émotions exprimées par la musique, mais reste différent. C'est le seul qui peut réellement être qualifié d'émotion musicale. L'émotion esthétique ne peut pas être quantifiée ni qualifiée, elle reste un mystère à la fois quant à son explication et son interprétation. Dans Du côté de chez Swann, Proust exploite astucieusement ce mystère :
« Si le pianiste voulait jouer la chevauchée de la Walkyrie ou le prélude de Tristan, Mme Verdurin protestait, non que cette musique lui déplût, mais au contraire parce qu'elle lui causait trop d'impression. « Alors vous tenez à ce que j'aie ma migraine ? Vous savez bien que c'est la même chose chaque fois qu'il joue ça. Je sais ce qui m'attend ! Demain quand je voudrai me lever, bonsoir, plus personne ! » S'il ne jouait pas, on causait, et l'un des amis, le plus souvent leur peintre favori d'alors, « lâchait », comme disait M. Verdurin, « une grosse faribole qui faisait s'esclaffer tout le monde », Mme Verdurin surtout, à qui, - tant elle avait l'habitude de prendre au propre les expressions figurées des émotions qu'elle éprouvait - le docteur Cottard (un jeune débutant à cette époque) dut un jour remettre sa mâchoire qu'elle avait décrochée pour avoir trop ri. »
Mais l'existence de cette émotion esthétique est indéniable. Prenons par exemple les musiques de film : elles se doivent d'accompagner un message et de susciter une émotion commune chez un ensemble de spectateurs. L'émotion esthétique peut aussi être dissociée de celle que l'on éprouve : elle peut ne pas être ressentie mais seulement comprise. Par exemple, dans le second mouvement du Quartet No. 8, Op. 110 de Shostakovich, même si on ne ressent pas d'émotion, on comprend que ce mouvement exprime sinon la rage, au moins une tension coléreuse.